La 56e Foire de Francfort marquée par la bataille de la distribution dans l'édition
LE MONDE | 11.10.04 | 14h38


La manifestation a fermé ses portes dimanche 10  octobre. Calme, un temps troublée par le prix Nobel de littérature décerné à l'Autrichienne Elfriede Jelinek, l'ambiance était au travail.
Francfort de notre envoyée spéciale
Un grand émoi sur les stands allemands et autrichiens, des pages entières de journaux affichées et du champagne chez Rowohlt : sans la "surprise Jelinek", deuxième Prix Nobel de littérature autrichien après Elias Canetti, la 56e Foire de Francfort - qui accueillait cette année 6 638 exposants venus de 111 pays jusqu'au dimanche 10 octobre - aurait été plutôt calme. "Ce n'est pas comme l'an dernier, avec l'autobiographie de Woody Allen qui échauffait les esprits", remarque le PDG de Calmann-Lévy, Jean-Etienne Cohen-Seat.
Hormis le nouveau roman de Gabriel Garcia Marquez, Memorias de mis putas tristes (Le Monde daté des 10 et 11 octobre), un livre d'entretiens de Jean Paul II sur les grandes questions philosophiques (à sortir au printemps en Italie), ou le dernier recueil autobiographique de Günter Grass, Fünf Jahrzehnte ("Cinq décennies", prévu cet automne chez Steidl), peu de "big books".
Cela n'a pas empêché les éditeurs de "bien travailler". Gallimard se réjouit de l'intérêt suscité chez Denoël par Irène Nemirovski, objet d'enchères à six chiffres. Albin Michel mise sur Frédéric Cathala et son Théorème du roitelet, sur la bande dessinée de Jean-Christophe Grangé, La Malédiction de Zener, ou encore sur le roman de Patrick Poivre d'Arvor, La Mort de Don Juan qui, "parlant de Byron, a des chances de bien marcher en langue anglaise".
Le Seuil a très bien vendu Une vie françaisede Jean-Paul Dubois (L'Olivier) et Julliard Les Jours fragiles, de Philippe Besson. Chez Michalon, Bonjour paresse de Corinne Maier, déjà vendu en dix langues, s'exporte bien. Anne Carrière annonce un nouveau Paolo Coelho, The Zahi, pour 2005, tandis que la maison espagnole Editorial Sirpus a signé un contrat pour distribuer Coelho dans l'ensemble du monde arabe.
Laffont a acheté les droits d'un gros roman publié par Bloomsbury, Jonathan Strange & Mr Norrel, d'une certaine Suzanna Clarke, que l'on présente comme "la nouvelle J. K. Rowling pour adultes". Et la jeunesse n'est pas en reste : les Américains continuent de vendre Eragon, premier volet d'une trilogie écrite par un garçon de 15 ans, Christopher Paolini, passionné par les contes nordiques, déjà vendu à 1 million d'exemplaires et acheté par Bayard. Actes Sud souligne l'intérêt des étrangers pour Jules Verne et pour la collection grand format qui sort à l'occasion du centenaire de la mort de l'écrivain."DRAGUE DANS LES ALLÉES"Après un cru 2003 dominé par le rachat d'Editis, 2004 est marqué par la bataille de la distribution. "On ne parle que de ça", note Jacques Glénat, un client convoité puisqu'il a vendu 1,2 million d'exemplaires du nouveau Titeuf et que son contrat chez Hachette arrive à échéance. Hachette, Editis, Sodis, Volumen... : c'est la guerre entre les plates-formes de distribution, au point que, "dans les allées, tout le monde drague tout le monde". D'où les mises en garde d'Arnaud Nourry, PDG d'Hachette Livre, qui insiste sur les "menaces de déstabilisation" que feraient courir à la profession des pratiques consistant à casser les prix de manière irraisonnée.
Côté arabe, c'est la satisfaction. Le centre Simon-Wiesenthal a été débouté de sa plainte visant à faire interdire des livres qualifiés d' "antisémites". Quant aux invités, "nous avions corrigé le tir", précise Peter Ripken, organisateur de la foire, faisant allusion à la polémique lancée en septembre dans Die Zeit par l'écrivain Tahar Ben Jelloun, qui reprochait à la Foire d'avoir invité les Etats plutôt que les écrivains. Les cinq pays ayant initialement refusé l'invitation - Maroc, Algérie, Libye, Koweït, Irak - étaient finalement représentés.
Dans un mélange de high tech et de voiles transparents, l'héritage littéraire arabe était consultable autour d'une maquette de la bibliothèque d'Alexandrie. De Tahar Ben Jelloun à Mahmoud Darwich, les lectures se sont succédé et "les médias allemands ont joué le jeu de cette littérature, remarque le journaliste Samuel Schirmbeck. Montrer qu'il existe une intelligentsia dans le monde arabe, pas seulement des islamistes ou des terroristes, voilà qui est positif".
Innovation de la foire : le centre d'échanges de droits pour le cinéma et l'audiovisuel. Ce n'est pas l'exemple de Jelinek avec La Pianistequi contredirait le slogan de ce pavillon : "Tous les bons films furent un jour des romans." Projections, ateliers : l'idée est de mettre en contact les mondes du texte et de l'image. "Je sors d'une conférence bondée, raconte l'agent barcelonaise Anna Soler-Pont, qui vient d'obtenir les droits mondiaux de la Palestinienne Sahar Khalifah. Il y a deux ans, 36 % des films qui sortaient en salle provenaient d'ouvrages publiés. Aujourd'hui, nous sommes à 50 %. Francfort ne remplace pas encore la Foire de Monte-Carlo, mais elle monte en puissance." Les producteurs l'ont bien compris qui, de plus en plus nombreux, viennent faire leurs emplettes à Francfort.
La foire s'est terminée dimanche avec la remise du Prix de la paix au Hongrois Peter Esterhazy. En 2005, l'invité d'honneur sera la Corée.
Florence Noiville
Agent littéraire, un métier en pleine croissance
Francfort est le royaume des agents littéraires. Cette année, ils étaient plus de 400 avec, parmi eux, un nouveau venu, le Français Pierre Astier, de la toute jeune agence Astier et Civico (Le Monde des livres du 1er octobre). "Encore peu répandu en France, le métier d'agent est de plus en plus nécessaire comme intermédiaire entre l'auteur et l'éditeur, note cet ancien directeur du Serpent à plumes. Non seulement pour démarcher les nouveaux marchés (Europe de l'Est et centrale, Asie) mais aussi pour mieux exploiter les droits cinéma et télévision."
Le marché français serait-il en train de bouger pour s'ouvrir aux agents ? En quittant Denoël, l'éditrice Héloïse d'Ormesson avoue avoir hésité entre le métier d'agent et celui d'éditeur. Elle a finalement opté pour le second et lancera en mars 2005 trois premiers titres (un roman de Pierre Pelot, un récit poétique d'Yves Di Manno et un essai de Cléa Koff), inaugurant ainsi une nouvelle maison qui portera son nom.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 12.10.04

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